Les bonnes pratiques de documentation (GDocP)
- Yesmine Ayadi

- il y a 5 jours
- 6 min de lecture

Dans l’industrie des sciences de la vie, la documentation est bien plus qu’un simple outil de communication : elle constitue la base de la conformité, de la traçabilité et de la confiance. Sans conventions communes et sans standards partagés, la transmission correcte et sécurisée de l'information serait impossible, car chaque acteur consignerait, interpréterait et utiliserait les données à sa manière, créant ainsi des écarts dangereux dans la compréhension et l’exécution des activités. Une instruction de fabrication pourrait être mal interprétée, une analyse de laboratoire réalisée différemment selon la personne, ou encore une donnée corrigée sans méthode appropriée, compromettant son intégrité. L’absence de règles strictes conduirait rapidement à des incohérences, à une perte de traçabilité et à l’incapacité de démontrer la conformité aux autorités réglementaires. Les décisions critiques se retrouveraient alors basées sur des informations ambiguës, incomplètes ou impossibles à vérifier, augmentant les risques opérationnels et, ultimement, les risques pour les patients. C’est précisément pour éviter ces dérives qu’existent les bonnes pratiques de documentation (Good Documentation Practice ou GDocP en anglais). Alors que les organisations évoluent dans un environnement technologique et réglementaire de plus en plus complexe, la rigueur documentaire demeure un pilier incontournable de la conformité et des bonnes pratiques génériques BPx qui désignent les ensembles de lois et de réglementations qui régissent l'industrie des sciences de la vie.
1. Qu’entend-on par bonnes pratiques de documentation ?
Les bonnes pratiques de documentation (GDocP) constituent un ensemble de règles, de standards et de comportements destinés à assurer que toute information consignée dans un environnement BPx soit fiable, complète et utilisable pour démontrer la conformité d’un système ou d’un procédé. Elles définissent la manière correcte de créer, modifier, gérer, conserver et protéger la documentation afin de garantir que chaque donnée reflète fidèlement les activités réalisées et puisse être interprétée sans ambiguïté par toute personne autorisée. Les GDocP encadrent ainsi non seulement la forme (comme la lisibilité, la datation, la signature, ou la gestion des versions) mais aussi le fond, en s’assurant que la documentation soutienne la traçabilité, la transparence et la responsabilité. En établissant des règles uniformes pour tous les acteurs impliqués dans les processus BPx, elles permettent aux organisations de démontrer de manière cohérente que leurs opérations sont contrôlées, que leurs produits répondent aux exigences de qualité, et que les décisions prises reposent sur une information fiable et vérifiable.
2. Quels documents sont concernés ?
Dans un environnement BPx, la « documentation » comprend un large éventail de documents et d'enregistrements. En voici une liste non exhaustive :
Documents :
Procédures opérationnelles normalisées (PON), instructions de travail, politiques;
Protocoles, plans d’essais ;
Formulaires, modèles, journal de bord ;
Descriptions de poste ou listes de responsabilités lorsqu'elles touchent un processus BPx.
Enregistrements :
Preuves d’exécution d’une activité ;
Résultats d’analyses ;
Rapports d’incident ou d’enquête ;
Données brutes générées par instruments ;
Journaux électroniques et pistes d‘audit ;
Signatures, dates et horodatages.
Le rôle de cette documentation est de démontrer la conformité, garantir la reproductibilité et assurer que les décisions qualité reposent sur une information fiable.
3. Qui doit respecter les GDocP ?
Les GDocP s’appliquent à tout département dont l’activité influence, directement ou indirectement un processus BPx, notamment :
Production et opérations,
Laboratoires et R&D,
Chaîne d'approvisionnement et distribution,
Ingénierie, maintenance, qualification/validation,
Affaires réglementaires,
Ventes lorsqu’il existe une interaction avec des informations BPx.
Les employés internes, les consultants, les fournisseurs, les distributeurs ou tout partenaire impliqué dans ces activités doivent s’y conformer strictement.
4. L'intégrité des données : un pilier central
La notion d’intégrité des données est encore plus déterminante de nos jours pour les raisons suivantes :
Augmentation du nombre de systèmes électroniques interconnectés ;
Importance croissante des audits de données ;
Risque accru de cybermenaces (diversité, volume et sophistication);
Renforcement des exigences en matière de pistes d'audit.
L’intégrité des données signifie que celles-ci doivent rester exactes, complètes et fiables depuis leur création jusqu’à leur archivage. Plusieurs risques peuvent compromettre cette intégrité, parmi ceux-ci on cite :
Des erreurs humaines (accidentelles ou intentionnelles) ;
Des transcriptions ou transferts incorrects de données ;
Des utilisations inadéquates de systèmes électroniques ;
Des cybersécurités insuffisantes ou inadéquates ;
Des manques de connaissances ou de formations sur les GDocP.
5. Les principes ALCOA+
Les principes ALCOA ont été introduits dans les années 1990 par la Food & Drug Administration des États-Unis comme un cadre visant à garantir la qualité des données, tels que documentés par Stan W. Woollen dans Data Quality and the Origin of ALCOA (Woollen, S. W. (2010). Data Quality and the Origin of ALCOA. Rx-360). La transition vers ALCOA+ a eu lieu dans les années 2010, lorsque des organismes réglementaires tels que l’agence européenne des médicaments ont élargi les attentes en matière d’intégrité des données dans le cadre des enregistrements électroniques, comme l’illustre sa communication de 2016 Data Integrity – Key to Public Health Protection (Agence européenne des médicaments. (2016). Data Integrity – Key to Public Health Protection. EMA). Les principes ALCOA+ demeurent la référence en matière d'intégrité des données. Ils s’appliquent à toute donnée et tout enregistrement, qu’il soit papier ou électronique. Selon ces principes les données doivent être :
A — Attribuables
L’auteur doit être identifiable avec ses initiales, sa signature et un identifiant électronique sécurisé. Aucune donnée ne peut être modifiée ou créée par une personne non autorisée.
L — Lisibles
L'information doit rester lisible et interprétable pendant toute sa durée de vie. Les corrections doivent être apportées proprement et sans altérer la lisibilité des informations initiales.
C — Contemporaines
Les données doivent être consignées au moment exact où l’activité est réalisée. Les systèmes électroniques doivent être correctement horodatés.
O — Originales
La première capture de données est considérée comme l’enregistrement original. Les copies doivent être contrôlées et vérifiées.
A — Accurate (Exactes)
Les données doivent refléter fidèlement la réalité observée. Toute modification doit être justifiée, datée et documentée.
Les éléments “+” :
Complètes : aucune information ne doit manquer.
Cohérentes : les données doivent être logiques et alignées à travers leurs différentes versions.
Durables : accessibles et conservées selon les périodes réglementaires.
Disponibles : consultables en tout temps par les personnes autorisées.
6. Les conséquences d’une mauvaise documentation
Même en 2025, la documentation déficiente demeure l’une des principales observations relevées lors des inspections FDA (Food and Drug Administration) et EMA (European Medicines Agency). La célèbre phrase : “If it is not documented, it did not happen.” (Si ce n'est pas documenté, ça n'a pas eu lieu) reste plus vraie que jamais.
Les observations récurrentes incluent :
Procédures inexistantes ou obsolètes ;
Enregistrements incomplets ou illisibles ;
Pistes d’audit inexaminées ;
Documentation non datée ou non signée ;
Absence de justification pour les corrections ;
Utilisation de documents non maîtrisés.
Ces manquements peuvent mener à :
Des rappels de produits ;
Des arrêts de production ;
Des avertissements réglementaires (FDA Form 483, Lettres d’avertissement) entraînant des répercussions sur la capacité de produire et l’image de marque ;
La perte de certification ;
Des risques majeurs pour les patients.
7. Quelques conseils à prendre en considération
À faire :
Utiliser uniquement les documents contrôlés et à jour.
Documenter les actions en temps réel.
Corriger les erreurs par une annotation propre, datée et signée.
Employer un format standardisé pour les dates (ex. : ISO 8601).
Utiliser une encre indélébile ou une signature électronique conforme.
Compléter toutes les sections ou les barrer si non applicables (par exemple, ne pas laisser de case vide ou sans valeur dans un formulaire).
Numéroter clairement toutes les pages (ex : “1/3”).
Préserver les données originales et les pistes d’audit.
Signer et dater chaque enregistrement de manière conforme.
À ne pas faire :
Utiliser des papillons adhésifs (“sticky notes”) comme support officiel.
Effacer, masquer ou rendre illisible une donnée passée, même si elle n’est plus actuelle ou erronée.
Modifier un document avant la révision/approbation requise.
Reporter des informations de mémoire.
Utiliser un correcteur liquide ou tout outil supprimant l’information.
Retirer une page d’un document BPx.
Laisser des champs vides sans justification.
Conclusion
Les organisations des sciences de la vie et des secteurs réglementés évoluent dans un environnement où la fiabilité des données est essentielle à la sécurité des patients, à la qualité des produits et à la conformité réglementaire. Les bonnes pratiques de documentation ne sont plus seulement un ensemble de règles, mais un véritable cadre de discipline professionnelle.
La maîtrise des GDocP constitue aujourd’hui un avantage stratégique, soutenant la performance opérationnelle et la confiance des autorités et des partenaires. Une documentation rigoureuse, claire et complète est, et restera, la base de toute activité BPx.
Chez InnovX, nous pouvons vous accompagner dans l’établissement de vos procédures opérationnelles ou vous soutenir dans l’application des bonnes pratiques de documentation afin que vous soyez conformes aux réglementations et que vous respécifiez les normes qui régissent votre secteur d’activité, en particulier dans un cadre BPx. Contactez-nous dès aujourd’hui pour voir comment nous pouvons aider votre entreprise.



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